NATURE ET MÉTHODE DE LA PÉDAGOGIE

On a souvent confondu les deux mots d'éducation et de pédagogie, qui demandent pourtant à être soigneusement distingués.

L'éducation, c'est l'action exercée sur les enfants par les parents et les maîtres. Cette action est de tous les instants, et elle est générale. Il n'y a pas de période dans la vie sociale, il n'y a même, pour ainsi dire, pas de moment dans la journée où les jeunes générations ne soient pas en contact avec leurs aînés, et où, par suite, elles ne reçoivent de ces derniers l'influence éducatrice. Car cette influence ne se fait pas seulement sentir aux instants très courts où parents ou maîtres communiquent consciemment, et par la voie d'un enseignement proprement dit, les résultats de leur expérience à ceux qui viennent après eux. Il y a une éducation inconsciente qui ne cesse jamais. Par notre exemple, par les paroles que nous prononçons, par les actes que nous accomplissons, nous façonnons d'une manière continue l'âme de nos enfants.

Il en est tout autrement de la pédagogie. Celle-ci consiste, non en actions, mais en théories. Ces théories sont des manières de concevoir l'éducation, non des manières de la pratiquer. Parfois elles se distinguent des pratiques en usage au point de s'y opposer. La pédagogie de Rabelais, celle de Rousseau ou de Pestalozzi, sont en opposition avec l'éducation de leur temps. L'éducation n'est donc que la matière de la pédagogie. Celle-ci consiste dans une certaine manière de réfléchir aux choses de l'éducation.

C'est ce qui fait que la pédagogie, au moins dans le passé, est intermittente, tandis que l'éducation est continue. Il y a des peuples qui n'ont pas eu de pédagogie proprement dite; elle n'apparaît même qu'à une époque relativement avancée de l'histoire. On ne la rencontre en Grèce qu'après l'époque de Périclès, avec Platon, Xénophon, Aristote. C'est à peine si elle a existé à Rome. Dans les sociétés chrétiennes, ce n'est guère qu'au XVIe siècle qu'elle produit des œuvres importantes ; et l'essor qu'elle prit alors se ralentit au siècle suivant, pour ne reprendre toute sa vigueur qu'au cours du XVIIIe siècle. C'est que l'homme ne réfléchit pas toujours, mais seulement quand il est nécessité à réfléchir, et que les conditions de la réflexion ne sont pas toujours et partout données.

Ceci posé, il nous faut rechercher quels sont les caractères de la réflexion pédagogique et de ses produits. Faut-il y voir des doctrines proprement scientifiques et doit-on dire de la pédagogie qu'elle est une science, la science de l'éducation ? Ou convient-il de lui donner un autre nom, et lequel ? La nature de la méthode pédagogique sera entendue très différemment, suivant la réponse qu'on donnera à cette question.